Le petit prince se trouvait toujours dans la région des astéroïdes 325 et au-delà. Il continuait à les visiter, l’un après l’autre, pour y poursuivre quelques activités et pour se cultiver.

Il arriva sur une minuscule planète habitée par une petite fille assise sur un tabouret. Elle portait une robe bleue et de grandes bottes rouges. Posée sur ses genoux, elle tenait une énorme tartine beurrée et briochée de chocolat de poudre noire.

– Ah ah une grande personne ! s’écria-t-elle de loin, la bouche décorée de mille cristaux de jais.

Car, pour les petites filles, les autres personnes sont toutes de grandes personnes.

– Bonjour, dit le petit prince en s’approchant. Tu manges une drôle de tartine.

– C’est pour reprendre des forces, lui répondit la petite fille. C’est épuisant de vivre toutes ces émotions.

– Ah oui ? dit le petit prince qui ne comprit pas.

– Oui. Je vis mes émotions à fleur de peau, de jour comme de nuit, qu’il vente ou qu’il neige !

Le petit prince ne comprenait pas comment il pouvait venter ou neiger sur une si petite planète. Il poursuivit :

– Je ne suis pas sûr de comprendre.

– J’écoute mon coeur, lui répondit la petite fille. C’est cela que je veux dire.

– Ton coeur te parle ? dit le petit prince, un peu surpris.

– C’est bien ça ! Il me parle et je l’écoute.

– Il te raconte quoi ton coeur ? demanda le petit prince.

– Il me raconte mes émotions ! Tu n’écoutes donc pas ! s’écria la petite fille, enfournant une gigantesque bouchée de sa tartine.
 
Le petit prince l’écoutait, amusé.

– C’est important de vivre ses émotions ! s’exclama-t-elle, la bouche pleine. Vivre de la passion, de la folie, de la tristesse ou de la détresse.

– Petite fille, toutes les personnes vivent des émotions, non ? 

– Non ! les grandes personnes cachent leurs émotions loin du coeur et puis finissent par les oublier.

– Mais pourquoi agissent-elles de la sorte ?

– Parce qu’elles ont peur ! répondit la petite fille, très sure d’elle.

– Peur de quoi ?

– Elles ont peur d’avoir trop d’espoir et de ne récolter que le désespoir. Peur des remords aussi.

Le petit prince s’étonnait. Cette petite fille semblait si sure d’elle. Que pouvait-elle connaitre de la vie des grandes personnes ?

– Et toi, petite fille, tu n’as pas peur ? 

– Oh oui j’ai peur ! J’ai même très peur ! Peur de ne plus entendre mon coeur !

– Et pourquoi ? 

– Si je n’entends plus mon coeur, je suis morte, fit-elle d’un ton attristé.

– Pourquoi voudrais-tu mourir ?

– Parce que ce sont ces émotions que j’entends dans mon coeur qui me disent que je suis encore vivante ! Ajouta-t-elle le regard brillant.

– Alors ces grandes personnes qui cachent leurs émotions loin du coeur sont mortes ?

– Oh Oui ! Elles ont perdu la magie de ce monde et souvent leurs rêves d’enfants …

– Mais comment sais-tu cela ? Tu n’es qu’une toute petite fille !

– Je regarde les grandes personnes attentivement, dit-elle la bouche amère. Elles sourient, mais leur regard est triste. Elles pleurent, mais aucune larme ne sort. Elles crient, en silence. Elles disent qu’elles t’aiment, mais ne le pensent pas.

Le petit prince était pensif. Avait-il perdu le merveilleux en quittant sa planète ? Avait-il oublié ses rêves de petit garçon ?

– Petit prince, tu sembles si triste ? demanda la petite fille, devant son silence ému.

– Je crois bien que oui !

– Pourquoi ?

– Je possède une fleur que j’arrose tous les jours ! lui dit le petit prince. Je souris auprès d’elle. Je pleure loin d’elle.

Le petite prince se rappelait qu’il avait laissé sa petite fleur toute seule. Il pleura un peu, il avait une larme sur sa joue.

– Quand je plonge en moi, j’aimerais aussi écouter mon coeur ! Il te raconte tellement de belles choses !

– Petit prince, tu peux sourire de tout ton coeur ! s’écria-t-elle enfournant à nouveau un morceau de brioche.

– Et pourquoi ?

– Parce que tu viens de l’entendre ! lui dit la petite fille, un grand sourire d’ébène sur ses petites lèvres.

– Quel est ton nom petite fille ? s’enquit le petit prince, tout confus.

– Fleur Bleue !

Et le petit prince s’en fût, un peu moins triste et bien vivant.

«  Les petites filles sont décidément bien bizarres », se dit-il simplement en lui-même, poursuivant son voyage.