Comme tous les matins depuis quelques jours, je descends vers le village par la rue centrale, je passe devant l’église, je traverse la Vonne en face de la minoterie, puis je longe Le Clain pour rejoindre enfin la piscine municipale.

Devant l’église, la porte est grande ouverte et pour le peu que j’entraperçois, le vaisseau est vide.

Je ne l’avais vue ouverte qu’en de trop rares occasions, de mémoire, les dimanches à la fin de l’office. Je n’avais osé m’approcher.

Je décide de m’y arrêter au retour de ma séance de natation, à condition de la trouver encore accessible.

Je suis agnostique, mais j’entre parfois dans une église.

Je suis agnostique, car j’ai décidé de ne pas prendre position dans ce débat indécidable, ni démontrable, ni réfutable — merci Gödel.

Je ne veux pas trancher entre la vision de Penrose et celle de Hawking, entre un univers fermé avec une frontière et un univers infini et ouvert sans frontière.

Dans le premier cas, il y a un extérieur à l’univers, Dieu existe.

Dans le second cas, l’univers est autogénéré, il n’y pas besoin d’un Dieu pour la création, seulement la singularité du Big Bang. Rien avant, ni matière ni temporalité.

Au mieux, je suis d’accord avec Bostrom.

Nous sommes certainement dans une simulation d’un passé d’une civilisation, la nôtre dans un futur lointain.

La probabilité est trop faible pour que nous soyons la première génération de cette civilisation, celle qui ne vit pas encore dans un simulateur.

Il nous faudrait survivre au prochain Collapse, ce qui me parait insurmontable.

La vitesse d’évolution de nos technologies montre le chemin à des entités artificielles conscientes.

Il est bien plus probable que nous soyons déjà des êtres simulés.

Peu importe cette théorie, la question de l’existence de Dieu persiste, même pour de pauvres êtres artificiels.

En revenant du bain, je repasse devant ce lieu sacré. La porte est demeurée grande ouverte.

Je m’avance par l’allée centrale de la nef et je m’asseois dans une travée, comme à mon habitude, à quelques bancs du coeur.

Avec la ferme intention de partager quelques pensées envers mon père et ma grande tante et toutes les personnes qui m’ont quittée bien trop vite.

J’ai toujours considéré qu’il était important de communier avec nos absents dans le lieu qui correspondait à leur façon de vivre leur spiritualité.

Un moment de recueillement, dans un lieu propice au calme de l’esprit, une pause salutaire dans une vie toujours plus trépignante.

J’affectionne particulièrement les églises, certainement parce que j’ai côtoyé ces lieux de nombreuses fois pendant mon enfance, de mon premier catéchisme à ma confirmation, avant de sombrer subitement dans l’agnosticisme.

Paradoxalement, c’est une rencontre avec un prêtre ouvrier, celui-là même qui avait marié mes parents, qui, lors de ma préparation de mariage, avait semé la première graine de ma libre pensée.

J’affectionne toujours autant ces lieux saints parce qu’ils sont généralement sombres et froids, à l’abri de l’agitation et de la chaleur du monde.

Je suis déçue, le narthex n’arrête ni le bruit de la rue ni cette canicule qui s’éternise.

J’ai du mal à me recueillir, mon esprit reste en ébullition.

À droite du transept, en regardant l’immense représentation de Jesus sur la croix, une pensée fulgure.

Les religions monothéistes sont toutes une plaie pour l’harmonie de notre monde.

Si Dieu existe et si j’en crois les textes, il est en chacun de nous, nous sommes un fragment de l’univers, réel ou simulé.

Si Dieu n’existe pas, nous sommes pour autant toujours un fragment de cet univers, façonné dans le chaudron d’une étoile ou dans la queue d’une comète.

Dans les deux circonstances, il n’existe qu’un seul mystère, qui a le pouvoir de nous faire évader de notre Enfer, notre égo, pour nous conduire au Paradis, une vie éveillée.

Ce mystère … c’est l’Amour … de soi-même, des autres au-delà de nos égos, d’un animal, d’une simple fleur ou d’une éclipse de Lune, être porté au-delà de soi.

Nul besoin d’une religion pour trouver ce trésor qui sommeille en chacun de nous.

Je me lève lentement et je quitte cette église, déçue par ce théâtre, mais heureuse d’avoir retrouvé le souvenir de cet écrin enfoui en moi.

Alors que j’approche de la sortie, je monte mes yeux vers les hautes voûtes baignées de lumière.

Dans leurs berceaux, le restaurateur a gravé des fleurs de lys, pour nous rappeler une autre forme ancienne d’asservissement de l’homme par l’homme.

Que ce monde, virtuel ou non, est encore loin de l’éveil …