La publication d’une trentaine de pages, intitulée « L’Harmonisation du droit des affaires en Afrique, l’expérience de l’OHADA à l’épreuve de sa première décennie » [1], signée par le Professeur Abdoullah Cissé [2], a été publiée en 2004 dans la revue internationale de droit économique.

M. Mamoudou Niane était alors l’assistant de recherche du Professeur A. Cissé et il a contribué très fortement au contenu de l’article ; c’est donc tout naturellement [3] que j’ai pris contact avec lui.

M. Niane est maintenant Professeur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal en Sciences Juridique et Politique et Directeur des Affaires Juridiques pour la Commission de Protection des Données Personnelles (CDP) au Sénégal. Il a gardé une très forte expertise notamment dans le Contentieux lié aux Affaires.

Après une introduction qui pose le contexte et les enjeux de la mise en place du Traité instituant l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), dans une deuxième partie les auteurs passent en revue détaillée l’opérationnalité et l’efficacité de cette institution communautaire après une dizaine d’années de recul. Enfin, ils concluent leurs propos par une troisième partie qui diagnostique les enjeux identifiés au début des années 2000 pour pérenniser cette institution et lui donner les moyens de sécuriser l’environnement juridique des affaires.

Pour cette étude, les auteurs utilisent principalement des publications antérieures de A. Cissé, de Mme Mireille Delmas-Marty [4], le texte du Traité lui-même et le matériel – actes, décisions, jurisprudence, doctrine – mis à disposition par l’organisation sur son site internet www.ohada.com.

Sortant légèrement du cadre proposé par mes études, j’ai trouvé souhaitable, quinze ans après la publication de ce retour d’expérience, vingt-cinq ans après la mise en place du Traité, de revisiter le statut des principaux critères d’opérationnalité et d’efficacité de l’institution OHADA et de présenter les évolutions récentes. Et quoi de plus naturel que d’interviewer le principal contributeur à l’étude originale, M. Mamoudou Niane [5].

Dans un environnement international exigeant, l’opérationnalité du droit communautaire de l’OHADA se mesure dans la simplicité institutionnelle pour réaliser les tâches définies dans sa mission – l’harmonisation du Droit des Affaires en Afrique aux fins de garantir une sécurité juridique et judiciaire aux investisseurs et aux entreprises.

L’institution s’est dotée d’instances uniques, légères et complémentaires : la conférence des Chefs d’Etats [6] et de Gouvernement pour impulser les grandes orientations, le Conseil des Ministres qui exerce le pouvoir exécutif et normatif, le Secrétariat Permanent pour coordonner et préparer les projets normatifs et communiquer avec les tiers, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage comme organe juridictionnel commun et supranational, et l’École Régionale Supérieure de la Magistrature pour former et documenter en droit des affaires.

Cette organisation très souple et basée sur le recours au consensus dans l’adoption des règles communes adoptées en Conseil des Ministres, traduit parfaitement le besoin de l’impératif d’opérationnalité par les États membres.

Sur le plan normatif, l’institution à tout pouvoir pour se saisir de toute nouvelle matière et recourt à la technique des « règles matérielles » [7] pour harmoniser le droit des affaires en imposant directement avec des actes uniformes les ordres juridiques nationaux. La technique juridique dite de la supranationalité assure alors la convergence des droits locaux sur les sujets harmonisés. Ainsi, contrairement à l’Europe, il n’est pas nécessaire d’avoir une transposition dans le droit local qui pourrait neutraliser une partie du droit communautaire.

L’efficacité de l’OHADA se mesure par le niveau d’harmonisation, de standardisation, de simplicité, de modernité et d’adaptation du droit des affaires aux croyances et aux pratiques.

Si le Traité se focalisait initialement sur l’investisseur étranger au détriment de l’investisseur local, l’évolution récente – notamment avec sa révision en octobre 2008 – va dans la normalisation des pratiques locales : simplification des procédures collectives pour les petites entreprises, des procédures de recouvrement et d’exécution, ainsi que l’adoption de nouveaux actes [8] comme les sociétés coopératives, les groupements d’intérêt économique, l’organisation et l’harmonisation de la comptabilité des entreprises …

La promotion de l’arbitrage, par simplification de la procédure de convention, du choix des arbitres, du renforcement de la confidentialité et de la célérité, améliore la gestion du contentieux. Et sur la crainte de manquer d’experts locaux spécialisés dans l’arbitrage : la reconversion d’anciens avocats, professeurs et juges ainsi que la mobilité de l’expertise – arbitres occidentaux – permet d’adresser efficacement les besoins.

La fracture numérique identifiée comme un risque à l’origine a été en réalité un atout qui a permis la mise en œuvre rapide et simple du droit OHADA, car sans historique à gérer. L’introduction des nouvelles technologies comme la dématérialisation des registres de commerce et des moyens de paiement et plus généralement de gestion informatisée des entreprises et la signature électronique, ont accéléré l’efficacité des instances.

L’ancrage institutionnel et donc la pérennité de l’OHADA se mesurent par les évolutions de ses instances, leur polyvalence et leur aptitude à prendre en charge la réalité du terrain et à fournir un cadre juridique compétitif.

La crainte de l’inconnu et du manque d’attractivité de l’offre de sécurité, se traduisant potentiellement par un rejet du Traité, est définitivement écartée avec le temps. Le modèle OHADA, croisé avec le modèle européen, se trouve être solide à l’épreuve de plusieurs tensions et conflits de normes résolus avec succès.

Les procédures prévues pour accompagner le mouvement naturel des affaires, la pression du milieu et pour étendre le champ d’intervention du droit ODAHA ont fait leur office et ont renforcé la légitimité de l’institution.

Que ce soit au travers de la démarche « doing business » promue par la Banque Mondiale ou que ce soit plus localement dans les pays membres, comme la mise en place des Tribunaux de Commerce au Sénégal.

Il reste néanmoins une réalité du terrain qui résiste encore, celle consistant à formaliser le marché en rapprochant le secteur informel au travers du statut de l’entreprenant. Ce demi-échec met en lumière certaines difficultés chroniques de l’institution : solutions parfois peu opérationnelles, manque de mesures d’accompagnement et de communication juridique, absence d’études de cas sur un secteur avec une légifération parfois un peu distante.

La sécurisation de l’environnement juridique des affaires dans l’OHADA se mesure par la bonne articulation et la cohérence du droit des affaires communautaire avec les normes locales, régionales et internationales ainsi que par l’harmonisation du traitement des infractions, des sanctions et de leur exécution.

Cette bonne articulation se traduit concrètement par des passerelles entre les normes – par exemple avec dérogations ou des renvois d’un texte à l’autre – et des discussions entre les différentes institutions notamment pour définir des marges nationales d’appréciations sous forme de directives. Ce travail souvent informel entre les différentes organisations régionales est rendu peu visible, mais les acteurs trouvent des solutions au-delà de la volonté politique, notamment lors de l’identification de tensions sur des conflits de normes [9] ; par exemple entre les droits CEDEAO et UEMOA sur la concurrence dans le cadre du litige des cimenteries du Togo, avec l’établissement d’une jurisprudence [10].

Il reste néanmoins des sujets peu avancés comme le droit des investissements, des sujets en discussion comme le droit du travail et celui des contrats ou des sujets en pleine construction comme le droit des technologies de l’information et communication avec de premiers travaux de normalisation sur les transactions électroniques, la cybercriminalité et la protection des données personnelles.

Par contre, et malgré des luttes en amélioration sur différents sujets – corruption, blanchiment …- et la mise en conformité internationale, le traitement des sanctions, laissé à la discrétion de chaque État, constitue un maillon faible et toujours non résolu du Traité, avec l’existence de « paradis pénaux » [11].

En conclusion, le Traité ODAHA répond à l’objectif de ces fondateurs d’être un palier fondamental de l’intégration régionale entre le local et l’inter-national. L’institution est opérationnelle et efficace avec une bonne adaptation aux pratiques des affaires par la création de nouveaux actes uniformes et la mise à jour des actes existants, avec le respect de la supranationalité, avec la bonne articulation avec les autres organisations régionales et internationales, et avec le recours opérant à la médiation et à l’arbitrage qui l’emporte sur le judiciaire.

Il reste néanmoins plusieurs axes d’améliorations pour la sécurisation de l’environnement juridique des affaires : transparence et approche plus participative aux travaux de normes, vulgarisation et communication juridiques et harmonisation des sanctions pénales.

À la lumière de cette conclusion, les auteurs en conviendront, la forte évolution de l’environnement des affaires en Afrique francophone depuis quinze ans et la place occupée dorénavant par le droit uniforme font de cette publication économique de 2004 une référence historique de la bonne gestion communautaire d’intérêts nationaux.

Mon interview avec M. Nian n’a pas de lien avec mon projet professionnel de réhabilitation de la liaison ferroviaire Dakar – Saint-Louis, mais il s’est trouvé d’autant plus intéressé par le sujet qu’il habite Saint-Louis, fait le chemin chaque semaine en voiture et se rappelle des souvenirs d’enfance d’avoir emprunté cette ligne.

Nous avons alors échangé une longue, mais intéressante digression sur l’intérêt du rail, tout particulièrement pour la région de Saint-Louis, et avons abordé certaines problématiques complexes comme l’intervention du religieux dans les affaires publiques [12], les difficultés économiques des populations depuis l’abandon de cette ligne en 1990 et la nécessité d’encadrer ce projet dans une démarche de développement durable.

Notes

[1] https://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique-2004-2-page-197.htm
[2] Doyen de la Faculté de sciences juridiques et politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal, il est actuellement en disponibilité et officie dans le privé comme Avocat.
[3] Étant passée par des études universitaires, je connais bien le processus de création d’une telle publication, attesté par les remerciements emphasé du Professeur A. Cissé à son assistant.
[4] Mireille Delmas-Marty est une juriste française qui a notamment travaillé sur le droit pénal européen : https://fr.wikipedia.org/wiki/Mireille_Delmas-Marty
[5] En espérant avoir traduit ci-après l’esprit de nos échanges le plus fidèlement possible, 1h30 d’une richesse incroyable résumée en moins de 1.500 mots.
[6] 17 États francophones sont membres de l’OHADA : Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Congo, Comores, Gabon, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée-Equatoriale, Mali, Niger, République Démocratique du Congo (RDC), Sénégal, Tchad et Togo.
[7] Les règles matérielles sont définies comme étant des règles qui apportent une réponse sur le fond à une question de droit international. Elles se distinguent ainsi de l’approche qui se limite à la désignation de l’ordre juridique dans lequel sera puisée la règle qui apportera une réponse sur le fond au litige.
[8] https://www.ohada.org/index.php/fr/actes-uniformes-de-l-ohada
[9] Dans la hiérarchie des normes, la constitution ne donne pas de solution quand deux normes supranationales ou même deux actes uniformes sont en conflit.
[10] http://www.ohada.com/jurisprudence/ohadata/J-02-88.html
[11] ou « forum shopping » en anglais : pratique qui consiste à saisir une juridiction qui sera plus souple dans les sanctions pénales.
[12] De l’influence néfaste des confréries au Sénégal : https://www.jeuneafrique.com/142651/politique/s-n-gal-marabout-power-ou-l-influence-des-confr-ries/.