C’est pendant mon année sabbatique au lycée Jean-Jacques Rousseau que j’ai fait connaissance avec la sorcellerie. Pas celle de Disney. Celle qui émancipe.

Planquée au fond d’un café, séchant quotidiennement mes cours de terminal math physiques, je m’étais mise en tête l’idée saugrenue d’écrire un roman de science-fiction. Dans le genre de « à la poursuite des Slans ».

J’aimais déjà l’idée d’être singulière et de faire de cette différence un atout pour émerger dans une société fermée et discriminante.

Entre deux parties de flipper et quelques taffes de bidi chargée de beu, je couchais quelques phrases raturées dans un petit cahier à grands carreaux. Autant pour impressionner mes ami.e.s que pour m’octroyer un peu de reconnaissance.

Malgré des qualités évidentes pour l’écriture, que mon histoire future ne renie pas, autant vous avouer que mon oeuvre de l’époque était au point mort, tout comme mon inspiration.

On dirait de nos jours que je procrastinais allégrement et sans vergogne, prête à copier quelques trames d’histoires croisées de-ci de-là.

Je compensais mon manque de souffle par la lecture de très nombreux ouvrages d’anticipation, en livre de poche, presque tous financés par de l’argent de poche que je captais matinalement dans le portefeuille de mon père.

Quand je n’avais pas tout dépensé en café et fumette, je courais à la librairie de la gare sarcelloise pour assouvir ce besoin d’épancher cette soif irraisonée, pour y piocher ensuite de pâles emprunts.

C’est ainsi que je suis tombée sur l’oeuvre de Franck Herbert. Et que j’ai fait connaissance avec Paul et les sorcières du Bene Gesserit.

Je crois que cette lecture m’a sauvée.

J’avais en permanence avec moi la litanie contre la peur du rituel des révérendes mères, inscrite en pattes de mouche à l’encre bleue d’un waterman fatigué, sur un rectangle de papier à cigarette, enroulé sur lui-même, au fond de mon paquet de Malboro.

Des années avant de mettre un nom à mes crises d’angoisse, bien avant d’être capable de lutter contre un malaise vagal à la simple évocation d’une piqure ou d’une douleur, je ne suis ni en train de me dissoudre dans cette espace ouvert, ni de mourir étouffée dans cette pièce fermée, bien avant de comprendre, je fixais, dès que je me sentais disparaitre, toute mon attention sur ce texte enroulé.

Je le prenais délicatement dans la paume de la main, le déroulais lentement, sans même le lire, me remémorant juste les mots réconfortants.

Aujourd’hui encore je me demande si c’est ma voix qui me soufflait que je valais mieux que cette peur, celle-là même qui mène à l’oblitération totale.

Et qu’il suffit de s’armer d’un peu de courage pour l’utiliser, cette voix.

Nouvelle Litanie contre la Peur

Aujourd’hui à la nuit tombante

J’ai guidé les pas d’une enfant

Elle était perdue et aveugle

Dans une forêt où règnent des ombres terrifiantes

Je l’ai conduite vers une ombre

Une ombre qui glissait sa main vers nous

L’enfant et l’ombre s’enveloppèrent et dansèrent jusqu’au matin

L’enfant a saisi sa peur passée et l’a chassée à tout jamais

— Julie, novembre 2014