Je me rappelle cette maison d’enfance, comme un doux souvenir, écrin de velours où mon âme dort encore, lieu exquis d’un bonheur simple avec mes grands-parents de coeur.

Un premier rayon de lumière matinal perçait la lucarne de la mansarde, baignant les prémices d’une forêt d’oliviers centenaires. Une fine poussière en suspension brillant de mille feux chatouillait l’orée des vignes imbibée de rosée. Au loin retentissait déjà le chant du grillon dans les lavandières, le temps se figea dans l’instant.

Au milieu du capharnaüm de la chambrée, je me levai en silence, m’habillai rapidement et me faufilai discrètement par l’ancien escalier en bois pour traverser en courant la véranda qui menait au jardin. Après le grand cyprès, le soleil affleurait la colline vers laquelle je montai, une mission bien concrète à l’esprit.

Alors que je m’approchais d’un vieux mas en très piteux état, connu pour être hanté par des esprits malins, je tombai nez à nez avec un drôle de minuscule jeune homme assis sur un coquelicot, au milieu du chemin.

Je lui proposai de faire une virée dans les berges d’oliviers, suivre cette trace si caractéristique qui s’enfonçait dans les hautes herbes séchées, je voulais rencontrer le sanglier, celui dont Bon papa m’avait tant parlé, celui qui faisait régulièrement des dégâts dans le potager.

Et puis je voulais aussi cueillir de belles fleurs sauvages, ramasser un joli bouquet et l’offrir à Grande tante, elle qui nous préparait les repas tous les jours. Je voulais manger des baies sauvages et humer à plein poumon ces senteurs si typiques de la chaleur provençale.

Mon petit bonhomme ne sembla finalement pas très enthousiaste à l’idée de croiser le sanglier. Au premier affut, il profita de ma courte pose pour se défausser et s’enfuir discrètement dans les grandes herbes. Tant pis pour lui !

Je sentais mes jambes devenir douloureuses, fouettées par les herbes sauvages, les ronces et peut être quelques orties entremêlées dans l’étroit passage tracé par l’animal sauvage, unique chemin pour gravir les coteaux jusqu’au sommet de la colline. Grande tante m’avait toujours dit que c’était vivifiant pour faire circuler le sang, mais ça me donnait juste des larmes aux yeux et une réelle envie de crier ma douleur.

Je ne renonçais pas, trop proche du but fixé, et serrais les dents en silence. Pas d’autre alternative, il me fallait être très discrète pour espérer voir le sanglier.

Soudain depuis mon nouvel affut silencieux, la cloche du mas familial se fit entendre, accompagnée d’appels insistants, la grosse voix de Bon papa.

Dépitée, mon aventure devait prendre fin.

J’abandonnai alors mon expédition, rebroussant chemin par la même mer végétale, m’égratignant maintes fois encore, dégringolant les restanques, angoissée à l’idée du comité de réception. J’avais sali et déchiré mes vêtements pour la messe du dimanche, mes souliers poussiéreux et mes guiboles ensanglantés, lacérés de griffures.

« Tu n’aurais pas dû partir si loin toute seule, c’était imprudent et risqué ! »

« Je sais mais je n’étais pas seule ! » très inquiets, mes grands-parents n’ont pas eu l’air de comprendre ma réponse.

Dans la grande pièce commune, la cheminée éteinte réchauffait encore l’atmosphère baignée de l’odeur du lait écrémé. Je posai les fleurs déjà flétries sur la table à manger, Grande tante saurait s’en occuper.

Si Bonne maman me regardait l’air grave et la moue pincée, comme à son accoutumée Bon papa me jeta un regard complice et me tendit mon petit déjeuner … du pain grillé, du beurre fermier et de la confiture maison d’orange amère.

J’enfournai la tartine, les mains encore sales de mon escapade matinale, ivresse de la vie, le sourire aux lèvres. Les cloches de l’église sonnaient onze coups, comme un murmure lointain.